Baudelaire : A une Malabaraise

Publié le par Atmosphere88

A une Malabaraise

 

 

 

 

Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche;
A l'artiste pensif ton corps est doux et cher;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître,
Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.

 


Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus,
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins?

 


Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'oeil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars!


Charles Baudelaire

 

 

 

Portrait de son aimée,

Jeanne Duval,

Par Lui, en 1850

 

A cette époque, beaucoup de poètes

de la métropole

se sont moqués de lui,

 

Victor Hugo va jusqu’à écrire

ceci dans son recueil Les Orientales :

 

Dis, crains-tu les filles de Grèce ?

Les lys pâles de Damanhour ?

Ou l’œil ardent de la négresse

Qui comme une tigresse

Bondit rugissante d’amour ?

 

Et Théophile Gauthier à son tour lance

ce qui suit, concernant la belle "exotique" :

 

Les femmes disent qu’elle est laide

Mais tous les hommes en sont fous :

Et l’archevêque de Tolède

Chante la messe à ses genoux...

 

Aimé Cesaire est passé par là ensuite, et les choses

Ont un peu changé...

 

Publié dans Humeur amère

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